En 1905 l’usine compte 3000 personnes et le double à la veille de la Guerre 14.
L’esprit pratique, le bon sens et l’ingéniosité domineront longtemps chez les deux associés.
Devant construire rapidement une nouvelle usine pour faire face au développement exponentiel de leur entreprise, ils rachèteront pour une bouchée de pain toute l’infrastructure métallique des bâtiments abandonnés de l’Exposition Universelle de 1887 dont l’Etat ne savait que faire.
Dans la même logique, ils utilisent le sable et les pierres trouvées dans le sous-sol de leur terrain de Puteaux, évitant ainsi des frais importants de matière première et surtout de transport, pour la construction des murs des bâtiments industriels.
Mieux encore, ils firent combler les considérables excavations ainsi créées, par les déblais provenant du creusement des tunnels du futur Métropolitain dont les ingénieurs avaient les pires difficultés à se débarrasser. Ils furent trop heureux de livrer gratuitement à Puteaux de quoi mettre à niveau les terrains de la future usine De Dion Bouton.
En matière d’astuce, de pragmatisme et de sens de l’opportunité, il est difficile de trouver mieux !
Aujourd’hui tout le monde s’esbaudit de la vitesse avec laquelle les technologies évoluent : nos ingénieurs sont de plus en plus savants, les fusées vont de plus en plus loin, les ordinateurs sont chaque jour plus intelligents…
On se souviendra qu’en 1887, Georges Thadée Bouton avait fait une démonstration triomphale en franchissant la distance Neuilly Versailles à la vitesse de soixante kilomètres à l’heure, à bord du fameux tricycle à vapeur qu’il avait conçu avec Trépardoux.
En 1907, soit vingt ans après, deux véhicules De Dion Bouton de série participeront à un raid d’une toute autre envergure : Paris-Pékin, s’il vous plaît, soit 16.000 kilomètres d’une “promenade” aux difficultés telles qu’on se demande comment ils purent arriver à destination !
La Croisière Jaune de Citroën qui aura lieu quinze ans après n’avait donc rien inventé mais on l’a oublié.
On peut dire en conséquence que nos aïeux de la Belle Epoque étaient tout aussi brillants que leurs arrières petits enfants…
Dans le domaine de la diversification et de l’innovation, De Dion Bouton resteront longtemps les maîtres incontestés.
Après le modeste petit moteur de 185 centimètres cubes équipant les tricycles, on fabriquera, au tournant du siècle, 4000 véhicules et plus de 80.000 moteurs.
Deux cents constructeurs dont Renault, Delage, Latil et Terrot se fourniront chez De Dion Bouton avant de concevoir leurs propres mécaniques.
Tous les grands de ce monde prendront le chemin de Puteaux pour prendre livraison de leur belle machine : Albert 1er de Belgique, Maurice Barrès, Le Roi Louis II du Portugal, Edison, Santos Dumont, sans oublier le Roi d’Espagne, Alphonse XIII…
Cependant, ils ne se contenteront pas de fournir de belles voitures à quelques privilégiés ; ils sauront en effet diversifier leur production de façon impressionnante en mettant sur le marché des autobus, des arroseuses municipales, des camions poubelles, des tracteurs agricoles, des camions de pompiers sans oublier du matériel ferroviaire, des draisines et des autorails…
Dans les années 1910, l’usine de Puteaux sortira un moteur V8 de 35 chevaux qui fut présenté à New York en 1912. Il sera acheté par la Société Delco qui était étroitement associée à la General Motors.
Le moteur français sera adopté par les Américains tant et si bien que le principe du V8 conçu par De Dion Bouton perdurera sous le capot des “belles américaines” pendant plus d’un demi siècle… Tout le monde a oublié, y compris les Américains, que c’est la firme de Puteaux qui avait été l’initiateur du concept.